CMJ n°6 - Max Jacob

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Béatrice MOUSLI, Max Jacob,

Paris, Flammarion (Grandes biographies), 2005, 509 p.
 

Entreprendre une biographie détaillée de Max Jacob relève à la fois du tour de force et du paradoxe. Tour de force tant la vie foisonnante d’un tel écrivain se dérobe à toute totalisation; paradoxe tant elle se déploie volontairement aux confins de la légende et de l’irréalité. Lorsqu’en 1934 Robert Guiette en avait déjà lancé le projet, il avait finalement choisi non la quête d’une hypothétique vérité mais la fidélité à la « vision qu’il en avait lui-même [,] le Max Jacob que révélait la légende était le Max Jacob auquel il croyait. »

Béatrice Mousli, par ailleurs auteur d’une biographie remarquée de Valéry Larbaud, relève la difficulté en recourant à de très abondantes sources qui, as- sociées, recoupées, voire juxtaposées dans leurs versions contradictoires, restituent un kaléidoscope tourbillonnant du personnage, qui n’aurait pas déplu à l’écrivain fasciné par les jeux d’optique. À la fois insaisissable et vivant : tel est le Max Jacob qui naît de cette longue enquête, une enquête qui, en outre, parvient à approcher au plus près de son personnage dans un évident élan de sympathie, tout en restituant son caractère «lutin» par une forme de constante distanciation.

Que la vie de Max Jacob soit dès l’origine une œuvre littéraire, qu’elle se déploie sur un mode à la fois poétique et romanesque, en témoignent les belles citations choisies en guise de titres des différentes sections de l’ouvrage. Cette étroite imbrication de l’œuvre et de la vie est par ailleurs manifeste dans l’importance qu’ont les lieux dans cette biographie : la vie de Max Jacob peut ainsi se suivre à travers les «sites » qui portent leur empreinte sur l’œuvre. Le Finistère bien entendu, qui forme la toile de fond de l’ouvrage, et dont Béatrice Mousli restitue très bien la religiosité si prégnante en cette fin du XIXe siècle. On voit ainsi passer ces pro- cessions qui impressionnèrent tant l’enfant et qui, à l’évidence, sont l’un des éléments de sa conversion. Bretagne que Max Jacob retrouve comme un constant refuge au fil de sa vie, tout en gardant ce regard doucement ironique qui traverse les recueils de Morven le Gaëlique et des Poèmes bretons. La Rue Ravignan devient elle aussi un élément à part entière de l’œuvre poétique, la Rue Gabrielle inspire Filibuth ou la montre en or, Saint-Benoît-sur-Loire nourrit évidemment la tonalité des dernières œuvres...

Cette vie-œuvre, Béatrice Mousli a le souci constant de la dérober aux interpré- tations figées, aux clichés auxquels elle a pu donner lieu. Pour les événements les plus connus de cette existence, elle propose une multiplicité de témoignages et d’approches, qui redonnent vie à ce qui tendait à devenir une légende dorée. La première rencontre avec Picasso retrouve toute son épaisseur d’existence par la con- jonction de plusieurs textes ; on voit naître peu à peu ce qui deviendra la légende du «Bateau Lavoir »baptisé par Max ; la célèbre série de visions de 1909 est mise en perspective au moyen de textes d’époques différentes, de sorte que l’hypo- thèse mystique est tempérée par un regard légèrement démystificateur. De manière analogue, les éléments de l’esthétique jacobienne apparaissent ici dans leur genèse, en étroite relation avec les événements qui ont contribué à la façonner : la difficile adhésion au cubisme est très bien rendue dans la relation complexe entretenue avec Picasso puis Braque ; lorsqu’on attend alors «le » recueil cubiste du poète, c’est par un petit récit pittoresque, La Côte, qu’il répond, comme par une pirouette. L’esthétique de l’œuvre «située » est dès lors clairement analysée dans sa relation au cubisme.

La vie de Max Jacob, c’est aussi la vie artistique de toute une époque ; la biographie de Béatrice Mousli se déploie constamment à plusieurs échelles, resti- tuant l’existence du poète sur le fond coloré d’une époque d’intense création artis- tique. Et cela, par le fait de l’extrême richesse de l’œuvre de Jacob. On voit successivement se déployer le Paris des peintres – l’atmosphère du Montparnasse de la Première Guerre est ainsi rendue à coups de détails – puis celui des musiciens (le Groupe des Six, en particulier), à mesure que Jacob s’éloigne de Picasso pour se rapprocher de Cocteau. Le monde de l’Édition et des revues littéraires est par ailleurs constamment évoqué — le rôle de Kahnweiler, d’abord éditeur d’Apollinaire ; l’émergence de Nord-Sud ; et plus tard la relation à Paulhan et à la N.R.F. Max Jacob peintre éperdu, jusqu’à baptiser sa dernière demeure Saint- Benoît-les-Gouaches, Max Jacob auteur d’une opérette, Max Jacob fasciné par l’évolution de l’art cinématographique. Le kaléidoscope révèle dans chacune de ses facettes un visage de l’époque.

Cette biographie s’attache en outre avec finesse à la complexité des relations de Max Jacob avec son entourage. Refusant de donner raison à telle ou telle polémique (les propos du poète à la mort d’Apollinaire, la réaction de Picasso à l’annonce de l’arrestation de Max...), Béatrice Mousli a toutefois le souci d’en rendre compte et de préserver de la sorte toute l’épaisseur au personnage. La vie de Max Jacob peut donc se suivre à travers quelques relations privilégiées. Relations avec Picasso bien entendu, tendues, faites d’admiration, de jalousie et parfois d’incompréhension. Relations tout aussi complexes avec Reverdy, que Béatrice Mousli n’analyse pas sur un mode exclusivement psychologique mais dont elle rend la part étonnamment romanesque (à travers l’épisode du Voleur de Talan en particulier). Relations avec les jeunes poètes que l’écrivain d’âge mûr se plaît à conseiller depuis sa retraite de Saint-Benoît-sur-Loire. Relations passionnelles enfin, dans lesquelles se disputent en lui le désir, la culpabilité et la souffrance : on suit la passion de Max Jacob pour Maurice Sachs, ses déceptions, ses dépits (ainsi avec René Dulsou), trahisons qui finalement le conduisent au choix du retrait.

Toujours soucieuse de garder en coin le sourire du poète et son art virevoltant de se dérober à toutes formes d’inquisitions, cette biographie se voile toutefois dans ses derniers chapitres, qui suivent à la fois la marginalisation volontaire de MaxJacob et la montée historique des périls. C’est à travers la disparition, un à un, des membres de la famille Jacob que l’on avance ainsi dans les années de guerre. La prescience du poète — qui note dans le registre de la Basilique de Saint-Benoît l’année de sa mort — est alors tragiquement confirmée : Béatrice Mousli accom- pagne la silhouette silencieuse et calme de l’écrivain arrêté le 24 février 1944 à Saint-Benoît, et, avec pudeur, évoque en quelques lignes ses derniers jours à Drancy, tandis que se déploient les efforts de ceux qui parviennent à obtenir — trop tard — sa libération.

C’est alors sur la diversité de tons de cette biographie que l’on ne peut que con- clure. Hommage au double visage – d’ombres et d’éclats – de l’écrivain.

Anne Gourio

 


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Édités par l’association des Amis de Max Jacob, LES CAHIERS MAX JACOB — revue annuelle — sont publiés avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Centre, du Conseil Général du Loiret, de  la ville d’Orléans et de Quimper, de la Communauté de Communes Val d’Or-Forêt et du Centre National du Livre.

Les Cahiers Max Jacob sont présents chaque année, en octobre,  au Salon de la revue organisé par ENT’REVUES (espace des Blancs-Manteaux à Paris) grâce à l’aide de Livre Au Centre, agence régionale pour le livre en région Centre.