CMJ n°6 - Max Jacob le Breton errant

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Yannick PELLETIER, Max Jacob le Breton errant,

Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot (Maison d’écrivain), 2004, 160 p.
 

Depuis plusieurs années, les éditions Christian Pirot livrent des ouvrages remar- quables sur les demeures d’écrivains. Ce patrimoine est souvent ignoré à moins qu’il ne soit déjà illustré par un site remarquable comme Saché ou vécut Balzac ou Nohant pour toujours associé à la «Bonne Dame ». Il faut la plupart du temps l’obstination de quelques passionnés pour sauver une demeure ou une collection menacées. Aussi, toute association d’ami d’auteur se réjouit-elle d’une initiative littéraire dont l’exis- tence peut servir à souligner l’importance de ces lieux. En confiant à des écrivains le soin de relire la géographie littéraire d’un autre écrivain: Laclavetine chez Rabelais, Lacarière chez Alain Fournier ou Sylvie Genevois chez son propre père, la collection réserve de bonnes surprises à ses lecteurs. La première est bien celle de proposer, cette fois, un Max Jacob! Yannick Pelletier n’a pas dressé un pèlerinage littéraire jacobien des «ménages, déménage, déménagements» chez les uns et les autres, d’hôtels en meublés. «Des juifs errants modernes (qui) auraient besoin d’autos » évoqués par Max dans une lettre à Grenier de février 1925, Yannick Pelletier ne retient que l’errance en invitant à «retrouver l’œuvre véritable qui est essentiellement le lieu où habite l’auteur ». Ce lieu, c’est «charnellement, avec le ventre, le cœur et l’âme » («les profondeurs rénales armoricaines », dit aussi Jacob) Quimper et la Bretagne que rien au monde ne remplace, ni les paysages d’Italie ou autres éclats solaires de Céret. Quimper, Yannick Pelletier la sonde, la fouille, la dénude et montre combien Max s’est nourri jusqu’à l’ivresse totale de la Bretagne. Celle du peuple, des humbles (les poèmes de Morven), de la mer de bleu cobalt, des pierres de granit, des sons mêmes : «qu’un poème lié à l’horloge ait pour titre «Du lard et du sel» reste(ra) plus mystérieux pour qui ignore que le battement de l’horloge fait aux oreilles bretonnes non pas tic-tac mais kig-sall, kig-sall, soit par traduction équivalente : lard-sel, lard-sel». La Bretagne : terre ultime des Jacob, aboutissement de l’exil de ces juifs voltairiens, terre de l’identité, terre revendiquée comme sienne où l’on veut être chez soi. Y.Pelletier retrace la fin du voyage : s’installer, travailler, changer de nom... Il interroge aussi l’identité feuilletonnesquedu petit Alexandre/Jacob en perpétuelle demande d’amour que «l’adulte ne trouvera jamais à combler » sauf à penser que «Dieu seul peut combler cette effrayante vastitude ».

Pour mener son enquête, l’auteur utilise l’esthétique développée dans la préface du Cornet à dés : «une œuvre doit être située ». Or «situer » Jacob relève de la plus grande complexité. Pelletier s’attache moins aux aspects baroques de la vie du poète qu’à ce qui les rassemble et leur donne leur unité. Si le poète est un être profon- dément ancré «dans l’horreur de la dislocation, l’angoisse de la perte » toute sa vie – bien qu’il s’en dédit – il ne renoncera au «point bleu» entrevu dans l’adolescence, celui que «bien des hommes ont voulu atteindre » (Cahiers des Maximes), c’est-à- dire à la «quête de soi-même et de l’Absolu». Pelletier enracine son analyse dans un dialogue intime avec Jacob qu’il confronte directement à ses œuvres : «je suis ce que tu seras, moi l’auteur, toi l’œuvre, et nous serons un: une œuvre vraie, celle qui a «du style » (...) donne la sensation de fermé ». Plus qu’une biographie, l’auteur rend un fervent hommage à un homme dont le seul tort fut «de ne pouvoir choisir » (A. Salmon), un homme en questionnement, un travailleur acharné qui écrivait le lan- gage de l’âme. Yannick Pelletier avait déjà proposé une étude sur le poète (cf. Lettres à René Villardsuivi du Cahier des Maximes, éd. Rougerie, 1978) ; fin lecteur de l’œuvre jacobienne, il propose ici un essai littéraire rigoureux et original. Disons-le de suite, son livre est – pour reprendre un adjectif très jacobien – «épatant ». Déjà en 1982 dans sa préface à l’exposition de Rennes l’auteur parlait de l’errance de Jacob « de peinture en poésie, de Quimper à Saint-Benoît, de l’Odet à la Seine jetant sur soi-même railleries et sarcasmes comme si un obscur pressentiment l’avertissait que gloire et bonheur ne sont pas terre promise à certaines gens ». Il nous prouve aujourd’hui ce compagnonnage intime avec l’œuvre du poète, sa lecture approfondie et féconde de cette œuvre.

On trouvera encarté dans l’ouvrage des photographies de Jean Hervoche d’une très grande poésie : les rives de l’Odet, de la Seine ou de la Loire, les escaliers de la Butte, les rues de Quimper... Ces paysages en noir et blanc aiguisent l’imaginaire, le grain et les reliefs semblent répondre aux «recherches de veloutés et de sépias » soulignées par l’auteur dans la recherche des tonalités du peintre Jacob. Ces photos ne sont pas les reflets de la réalité d’un lieu, on n’y trouvera pas les façades montmartroises du «7» ou du «17», encore moins celle «de la maison rose » de Saint-Benoît, mais plutôt les échos de la «ballade de la campagne-exil, curieux poème des adieux à un monde qui s’écarte du poète ». Décidément Christian Pirot a bien eu raison d’inclure Max Jacob dans sa collection. Yannick Pelletier révèle une tout autre demeure, il conduit le lecteur à visiter l’architecture de l’écriture poétique jacobienne, sa manière d’«être-au-monde », de creuser en lui pour y trouver la perfection de ses poèmes et l’exigence absolue d’une œuvre écrite en « s’écorchant le boyau au risque de l’entérite ».

Patricia Sustrac

 
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Édités par l’association des Amis de Max Jacob, LES CAHIERS MAX JACOB — revue annuelle — sont publiés avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Centre, du Conseil Général du Loiret, de  la ville d’Orléans et de Quimper, de la Communauté de Communes Val d’Or-Forêt et du Centre National du Livre.

Les Cahiers Max Jacob sont présents chaque année, en octobre,  au Salon de la revue organisé par ENT’REVUES (espace des Blancs-Manteaux à Paris) grâce à l’aide de Livre Au Centre, agence régionale pour le livre en région Centre.