CMJ n°7 - Max Jacob:
the integrity of the writer

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Olga Rosenbaum, «Max Jacob: the integrity of the writer »,

dans Nicole Thatcher et Ethel Tolansky (dir.), Six authors in captivity –
        Literary responses to the Occupation of France during World War II, Bern, Peter Lang (Modern French Identities,
        vol. 54), 2006, p. 85-110.

Comment s’exprime l’engagement politique des intellectuels dans leurs écrits ? Des éléments de réponses sont apportés à travers l’analyse des travaux de Jean Cassou, JeanCayrol, Madeleine Riffaud, Pierre-Henry Simon, Philippe Soupault, qui tous choisirent des modes d’engagements allant de la publication clandestine à l’engagement armé. Curieusement est ajoutée la figure de Max Jacob dont on sait qu’il ne participa à aucune de ces modalités. La raison en est que l’auteur a considéré métaphoriquement que la France occupée étant une prison le poète fut à Saint-Benoît emprisonné («Max Jacob’s «imprisonment »), en captivité («captivity»), interné (« internment »), séquestré (« sequestration»). Le chercheur tente de dégager les principes d’une action politique liée à la douleur de la situation subie par le poète. Certes, les discriminations raciales liées aux statuts des Juifs pourraient faire accepter métaphoriquement la notion d’enfermement. Cependant, rap- pelons que la retraite de Jacob fut volontaire. En 1936, et non à cause de la guerre, il s’isole pour échapper à ses amours malheureuses et à la misère. Il refusa toutes les propositions de se cacher durablement et ne cessa d’écrire qu’«ici [à St.-Benoît] je vis en sécurité ». Si le critique note que le poète pressent les tromperies de Radio-Paris ou la stratégie des avancées de l’armée allemande, Jacob n’en est pas pour autant un écrivain aux convictions sociales suffisamment étayées pour construire un engagement politique. Jacob est de son époque : il est anticommuniste et surtout sa foi catholique est prédominante à une analyse programma- tique. En 1925, lors du séjour en Italie qui se déroule au moment de l’adoption des lois fascistissime, le poète ne tire aucune morale d’engagement. Jacob ne peut bien sûr ignorer : «une énorme église pour enterrement fasciste- fascistes partout- programmes fascistes sur tout mur italien, fêtes fascistes, bureaux spéciaux fascistes dans toutes les administrations » mais ces remarques ne forment pas des éléments susceptibles de déboucher sur la pensée ou sur des actions d’une expérience réflexive prédictive à un terraind’opposition aux fascismes à venir. De même pour la question espagnole, le poète ne retiendra de Franco que son action pour protéger l’Église. Quand le critique note que le poète a «obligatoirement été conscient comme tous les juifs de la montée de l’antisémitisme dans les années d’avant-guerre » (« like all Jews he must have been aware of the build-up of anti-Semitic political sentiment in the immediate pre-wars years ») : il n’en est rien. Jacob est muet autant sur les élections de 1898 qui voient pourtant La Question Juivede Drumont au cœur des enjeux électoraux que sur l’affaire Dreyfus : Jacob ne comprendra pas le sionisme et encouragera toujours les juifs à se convertir considérant que leur état n’est qu’une étape : «Les juifs pour durer doivent souffrir ; la douleur est le sucre qui conserve », écrit-il à Paulhan en 1937. C’est sans doute dans l’analyse centrale du concept de douleur chez Jacob qu’il faut rechercher le contresens de la lecture de MmeRosenbaum. La douleur est pour le poète un don divin. Par son inter- vention l’homme se retrouve lui-même ; elle est une « purge», titre que Jacob donna d’ailleurs à un de ses articles sur la question. La douleur est une extraction violente des scories qui nous sont étrangères et nous dispersent de l’essentiel : « la douleur (..) nous rapproche de l’essence primordiale qui est Dieu » ( ABC de la religion catholique). La douleur mène au martyre : don à Dieu de toute les souffrances. Dès lors, l’œuvre jacobienne s’inscrit dans une situationexistentielle de l’être-là et non pas dans une morale de l’agir. Jacob n’est évidemment pas étranger à son temps, son Journal de Guerre, le poème Amour du prochain (où pour la première fois Jacob montre sa compassion avec le peuple juif) sont des témoignages puissants, souvent parodiques, mais ne démontrent en rien un prolongement de la créativité jacobienne à partir de laquelle théorie et/ou pratique de l’engagement auraient pu naître. Jacob en 1939 est un écrivain dont l’esthétique est totalement achevée : Le Cornet à dés, l’Art Poétiqueet les articles ardus mais essentiels parus dans Nord- Suden sont les lignes conductrices. La guerre ne révèle aucun changement dans sa conception esthétique. Jacob, être souffrant, poursuit dans l’espoir de la Rédemption la quête absolue de lui-même. Il est certain que la guerre lui apporte une épreuve redoutable car elle l’oblige sans aucune échappatoire à la question cruciale de l’être et paradoxalement de son être-juif : «J’suis l’bouquet/J’suis le bouquet/J’suis le bouc émissaire... qui est responsable de toute cette pourriture littéraire : c’est le juif destructeur ? » écrit-il à Toulouse après la visite de Strecher. Jacob anticipe lucidement la problématique de la question sartrienne :« le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif ; voilà la vérité simple d’où il faut partir [...] c’est l’antisémite qui fait le Juif ». Mais on ne peut pas enrôler Jacob dans l’esprit de la Résistance. Il a certes quelquefois désobéi : on sait, par exemple, qu’il ne portait pas réglementairement l’étoile juive. Il ne pouvait ignorer les conséquences de ce manquement à la règle. Mais désobéir ne veut pas dire s’inscrire dans le « résister ». En ces temps terribles, résister voulait dire entrer en dissidence, passer d’un monde légal à un monde clandestin, agir, combattre, tuer et pour certains mourir les armes à la main. Ce ne fut pas le cas de Jacob. Mme Rosenbaum cite le message émouvant de Jean Cassou aux obsèques du poète en 1949: «Le nom de Jacob restera inscrit en tête de la protestation implacable de l’esprit français, de l’esprit humain contre la brute ». Il eût été peut-être intéressant d’interroger la parole d’un résistant actif créant la naissance d’une figure de résistance et de là prolonger l’analyse sur les suites données à sa disparition dans l’immédiate après-guerre. La mort de Jacob est terrible. Elle a privé ses amis et ses admirateurs d’un être précieux et l’histoire de l’art du XXesiècle d’une de ses plus grandes figures. Elle est le résultat d’une politique structurée d’extermination du peuple juif. Sa mort ne le hisse pas au rang d’un héros : à l’instar de tous les juifs d’Europe, Jacob est une victime.

Patricia Sustrac


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Édités par l’association des Amis de Max Jacob, LES CAHIERS MAX JACOB — revue annuelle — sont publiés avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Centre, du Conseil Général du Loiret, de  la ville d’Orléans et de Quimper, de la Communauté de Communes Val d’Or-Forêt et du Centre National du Livre.

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